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Christophe Asselin - juin 22, 2021

[Interview] Caroline Faillet : Comment décrypter les fake news ?

A l’occasion de la sortie de notre guide "Fake News" Comment détecter et lutter contre la désinformation sur les médias sociaux, j’avais eu le plaisir d’interviewer Caroline Faillet *, auteur d’un ouvrage sur les “fake news “ et fine observatrice des mécanismes du web et de ses communautés. 



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Digimind - Bonjour Caroline.
Pouvez-vous présenter Opinion Act, et votre ouvrage consacré aux fake news ?

 

caroline-failletOpinion Act est l’entreprise que j’ai fondée il y a 16 ans (anciennement Bolero). Sa mission est de décoder les mouvements d’opinion et les comportements en ligne pour éclairer les entreprises dans l’établissement de leur stratégie digitale, la protection de leur réputation et l’extension de leur influence. A ce titre, nous sommes observateurs de manipulations de l’information en ligne depuis de nombreuses années.

Auparavant dénommées rumeurs et hoaxs, ces désormais « fake news » sont un fléau que j’ai vu croître au gré des révolutions d’usages : d’abord sur les sites d’information, Wikipédia puis les blogs, les médias sociaux, ensuite les réseaux sociaux et désormais, le « dark social ».
J’ai écrit deux ouvrages : l’Art de la guerre digitale (Dunod, 2016) a vocation à sonner la mobilisation générale dans les organisations pour qu’elles comprennent qu’elles sont au cœur d’une guerre économique et d’une guerre idéologique sur ce champ de bataille digital et qu’elles adoptent de nouvelles armes. Puis j’ai écrit Fake News, Décoder l’Info (Bréal, 2018) pour un public plus large, afin de sensibiliser tout un chacun sur notre vulnérabilité à la désinformation et à notre rôle de fact-checkeur, quand cela est possible.


 

 

Comment décrypter les fake news ?  

Je ne crois pas une seule seconde à l’idée que nous puissions aller vérifier et recouper l’information lors de nos lectures quotidiennes. C’est illusoire. De la même façon que nous ne pouvons exhorter les populations à ne lire que certaines sources d’informations qui seraient considérées comme plus fiables que d’autres. Les médias traditionnels ont démontré leur capacité à être eux-mêmes propagateurs d’infox. Je suis plus adepte d’une bonne hygiène mentale et pour cela, chacun ses méthodes. La mienne est le radar émotionnel car... il n’existe pas de fake news insipide ! 

Chaque fois qu’une information me surprend, me scandalise, m’émeut ou me dégoûte, mon radar à fake news s’agite. C’est dans ces situations que je vais investiguer pour croiser des sources et me faire un avis sur la question. J’aime aussi la méthode des 3 passoires de Socrate, dont je parle dans mon ouvrage, très utile pour apprendre aux enfants à se méfier des rumeurs à l’école :

 Socrate avait, dans la Grèce antique, une haute réputation de sagesse. Quelqu’un vint un jour trouver le grand philosophe et lui dit :

 « Sais-tu ce que je viens d’apprendre sur ton ami ? »

 « Un instant, répondit Socrate. Avant que tu ne me racontes tout cela, j’aimerais te faire passer un test rapide. Ce que tu as à me dire, l’as-tu fait passer par les trois passoires ? »

 « Les trois passoires ? Que veux-tu dire ? »

 « Avant de raconter toutes sortes de choses sur les autres, reprit Socrate, il est bon de prendre le temps de filtrer ce que l’on aimerait dire. C’est ce que j’appelle le test des trois passoires. La première passoire est celle de la VÉRITÉ. As-tu vérifié si ce que tu veux me raconter est VRAI ? »

 « Non, pas vraiment, je n’ai pas vu la chose moi-même, je l’ai seulement entendu dire. »

 « Très bien ! Tu ne sais donc pas si c’est la vérité. Voyons maintenant, essayons de filtrer autrement, en utilisant une deuxième passoire, celle de la BONTÉ. Ce que tu veux m’apprendre sur mon ami, est-ce quelque chose de BIEN ? »

 « Ah, non! Au contraire! »

 « Donc, continue Socrate, tu veux me raconter de mauvaises choses sur lui et tu n’es pas sûr qu’elles soient vraies. Ce n’est pas très prometteur ! Mais tu peux encore passer le test, car il reste une passoire : celle de l’UTILITÉ. Est-il UTILE que tu m’apprennes ce que mon ami aurait fait ? »

 « Utile ? Non, pas vraiment, je ne crois pas que ce soit utile. »

 « Alors, conclut Socrate, si ce que tu as à me raconter n’est ni VRAI, ni BIEN, ni UTILE, pourquoi vouloir me le dire ? »

 

 

Quel est l'impact des biais cognitifs ?

Les biais cognitifs jouent un rôle majeur dans la diffusion des fake news car ils nous maintiennent dans une illusion de rationalité. C’est sous leur emprise que des personnes éduquées et qui semblent raisonner correctement se retrouvent, contre toute attente, prisonnières d’une théorie du complot. Un biais de cadrage les expose d’abord à des faits sélectionnés savamment pour créer le doute. 

 

La confusion entre corrélation et causalité les conduit ensuite à déduire une forme de déterminisme dans cette succession de faits. Puis le biais de négativité les rendra sensibles à un lanceur d’alerte, qui s’inscrit en faux face au consensus scientifique. Le biais de confirmation les confortera enfin dans leur idée après qu’ils aient été, à leur insu, enfermés dans une bulle “informationnelle”.

 

Comme personne n’échappe aux biais cognitifs et émotionnels, nous sommes tous de potentiels faussaires de l’information.

 

 

Pouvez-vous nous parler d'exemples marquants ? 

Le phénomène Qanon qui sévit depuis plusieurs années mais a pris une dimension planétaire depuis les élections américaines me paraît  particulièrement terrifiant de ce point de vue. Qanon a enrôlé des milliers de personnes à travers le monde autour d’une théorie du complot qui affirme que des centaines d’enfants sont victimes d’un réseau pédophile et satanique actionné par un “Etat profond” à la solde de milliardaires. Pour faire court !



Le récit paraît grotesque, et pourtant à force de faire l’amalgame entre des informations vraies mais interprétées avec toujours la même grille de lecture et sous de multiples biais cognitifs, il est devenu crédible. J’ai parcouru des forums de proches des personnes et l’on constate que ce complotisme, qui a engendré de véritables tragédies au sein des familles, n’épargne aucune classe sociale : chercheurs, médecins, chefs d’entreprise. Loin des radars des médias, il se répand de communauté en communauté, sur les réseaux et franchit les frontières. Les fake news sont désormais mondiales et totalement indépendantes des circuits d’information classiques.

 

 

Qui est le plus souvent à l'origine des fake news ?  Peut-on les circonscrire à un type d'émetteur ?

Comme personne n’échappe aux biais cognitifs et émotionnels, nous sommes tous de potentiels faussaires de l’information. Le plus souvent, nous pêchons par orgueil en propageant, sciemment ou non, une fake news qui nous apportera des “like” et des partages (ce sont les “vanity metrics”).

Mais certains émetteurs de fake-news en font un jeu (les trolls, les haters), d’autres un business (les sites pièges à clics, les usines à clics et les faux profils). Les plus dangereux sont pour moi les dogmatiques, dont la version extrême sont les complotistes, qui détournent des faits au service de leur idéologie. La construction de leur mythe et leur capacité d’embrigadement des internautes les rapproche de plus en plus des mouvements sectaires.

 

Comment peut-on mieux les combattre ?

D’abord en ne leur laissant pas le champ libre. Sur nombre de sujets scientifiques, les porteurs de la connaissance n’ont pas su occuper le terrain digital avec leur savoir et ont ouvert un boulevard pour les émetteurs de fake news. Ce fut le cas pendant des années sur la vaccination par exemple, où l’on ne voyait s’exprimer sur le Net que les antivax. Aujourd’hui, le terrain digital est miné et la défiance est bien installée dans la population. Comme les croyances se propagent toujours plus vite que la science, il est important de prendre des positions digitales en amont des rumeurs.

Ensuite, en organisant une capacité de surveillance et de fact-checking pour agir quand survient la rumeur. Mais qui nécessite, là encore, de mobiliser les sachants pour qu’ils alimentent de leur connaissance les armées de fact-checkeurs - et ils sont nombreux- prêts à contrer la désinformation.

[...]

” 

(*)Caroline Faillet est CEO et fondatrice de OPINION ACT dont la vocation est de décrypter les opinions et comportements pour éclairer les stratégies digitales des organisations. Elle est une des pionnières de la discipline de l’e-réputation et de l’influence en France, auteure de L’Art de la guerre digitale (Dunod 2016), dans lequel elle dévoile sa méthodologie pour aider les organisations à s'adapter à la prise de pouvoir du citoyen post-révolutions numériques, ainsi que DÉCODER L’INFO, Comment décrypter les fake news ? (Bréal 2018)
Elle enseigne la stratégie digitale à HEC et l'influence à l'Ecole militaire.

 

 

 

Retrouvez l’intégralité de l'interview de Caroline Faillet dans le guide

"Fake News" Comment détecter et lutter contre la désinformation sur les médias sociaux

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Ecrit par Christophe Asselin

Christophe est Senior Insights & Content Specialist @ Digimind. Fan du web depuis Compuserve, Lycos, Netscape, Yahoo!, Altavista, Ecila et les modems 28k, de l'e-réputation depuis 2007, il aime discuter et écrire sur la veille et le social listening, les internets, les marques, les usages, styles de vie et les bonnes pratiques.