#JeSuisCharlie: Les mutations et mouvances du Hashtag
La République du Hashtag
Plus d'un mois après les événements dramatiques des 7, 8 et 9 janvier, qu'est devenu le hashtag #JeSuisCharlie, un des symboles de la mobilisation et de la solidarité (planétaire) envers les victimes ? Ou plutôt que deviennent ses déclinaisons multiples ?
Le hashtag est en effet devenu le nouveau symbole de l'internet, remplaçant peu à peu l'arobase @ à l'instar des NTIC qui sont devenues le numérique puis le digital. Plus qu'une simple étiquette populaire sur internet, le # permet de se rassembler autour d'une cause, d'un événement, d'une idée comme les soldats autour de l'oriflamme du chevalier. A tel point que le Hashtag fait de plus en plus parler de lui. On se fédère, on se syndicalise, on manifeste autour d'un Hashtag : #BonnetsRouges, #Pigeons, #Poussins, #ONLR, #Manifpourtous : ces mouvements et mouvances existent aussi (ou surtout) à travers leurs hashtags, remplaçant des moyens de communication trop couteux et rallient les internautes partisans sur les réseaux sociaux. La communication par le Hashtag est d'ailleurs devenue une composante incontournable du slacktivisme, l’activisme passif, mou, sur internet.
Le Hashtag n'est plus propre à son réseau d’origine, Twitter. On le retrouve en effet (un peu) sur Facebook et Google+, beaucoup sur Instagram.
Le Hashtag #JeSuisCharlie a été utilisé plus de 5 millions de fois sur les 5 jours qui ont suivi les attaques. Ce n'est pas le hashtag le plus utilisé de l'histoire de Twitter (ce n'est pas le débat) mais c'est l'un de ceux qui a suscité le plus grand rassemblement spontané et rapide autour d'une cause et d'un événement imprévu.
Au-delà des internautes citoyens, les marques utilisent de plus en plus le hashtag. Certaines entreprises ont même tenté, même de bonne fois, d'opérer un Newsjacking en réutilisant le hashtag #Jesuischarlie au profit (un peu) de leur marque, suscitant le courroux des internautes.
Les mutations et mouvances
Comme souvent, le hashtag #JeSuisPasCharlie a produit des jumeaux, des cousins, des dérivés ou des opposés, sombres. Car les hashtags ont leurs côtés obscurs et ne sont pas uniquement utilisés dans un élan positif. #JeSuisCharlie a ainsi vu naître notamment #JeneSuisPasCharlie, #JesuisAhmed, #JeSuisKouachi, #JeSuisJuif, #JeSuisCoulibaly ou encore #JeSuisFrançais. Les tendances d’utilisation des hashtags sont parfois trompeuses. Si, dans la période du 8 au 12 janvier, le Hashtag #JesuisKouachi a été utilisé plus de 39000 fois sur Twitter (contre plus de 5 millions pour #JesuisCharlie), ce n'est pas majoritairement pour justifier les meurtres des frères Kouachi. En effet, plus de 90% des tweets publiant #JesuisKouachi l'on fait pour le condamner.
Le principe de l'identification envers autrui n'est pas nouveau : le jour même du 11 septembre 2001, beaucoup de journalistes et personnalités annonçaient : "Nous sommes tous américains". Seulement, avec Twitter, ces concepts sont maintenant partagés au delà des mainstreams medias. Le journaliste du magazine Stylist a imaginé le 7 janvier le ralliement "Je Suis Charlie" puis les internautes ont propagé l'expression. Et l'ont déformé, malmené, adapté...dans le monde entier.
Ainsi, le 9 janvier commence à se propager le hashtag #JeSuisRaif, du nom de Raif Badawi condamné à 10 ans de prison et 1000 coups de fouets par les autorités saoudiennes pour a voir "insulté l'Islam" sur son site Internet.
Le 21 janvier, après un attentat au couteau dans un bus à Tel-Aviv, le Hashtag #JeSuisCouteau se propage.
Le 3 février, Daesh annonce avoir brulé vif le pilote jordanien Muath (ou Mazz selon les transcriptions) al-Kassasbeh après des semaines d'attente et de doutes : les hashtags #IamMuath, ou كلنا_معاذ# ou #JeSuisMoaz en français se développent. L'écrivain Paulo Coelho se mobilise en tweetant : " @paulocoelho: I wonder where are the millions who tweeted #JeSuisCharlie . Why don't they tweet #IamMuath ? ". En fait, de nombreux tweets ont été postés en langue arabe et ces hashtags, toutes langues confondues, dépassent les 600 000. Néanmoins, le tweet de Paulo Coelho aura permis de mobiliser les internautes occidentaux mais dans une moindre mesure.
Lorsque l'on analyse le réseau des influenceurs qui ont propagé #JeSuisMoaz ou #IamMuath, on remarque que ce sont majoritairement des communautés de personnalités (écrivain, politiques, dirigeants) bien davantage que de médias (AlJazeera, BBC) , beaucoup moins présents que pour le hashtag #JeSuisCharlie. On y voit en effet l'écrivain Paulo Coelho, le compte officiel de la Reine Rania de Jordanie ou la présentatrice TV Ola Alfares ou encore des spécialistes du digital en Jordanie comme Lara M. Ayoub. Les influenceurs qui ont propagé le hashtag au-delà de la langue arabe sont majoritairement Jordanien. Puis la reprise s'effectue via les branches internationales des médias (BBC, AlJazeera en anglais par exemple).
Lorsque l'on parle du côté obscur des hashtags, on a peine à imaginer jusqu'où l'esprit humain peut aller : Ainsi, pour l'assassinat du pilote jordanien, selon le DailyMail, les membres de Daesh auraient pu être influencés par des hashtags sur Twitter dès sa capture le 24 décembre 2014 : #SuggestAWayToKillTheJordanianPilotPig («suggérez une méthode pour tuer le porc de pilote jordanien»), #WeAllWantToSlaughterMoaz («nous voulons tous abattre Moaz»).
Le 28 janvier, le gouvernement français a lancé la campagne pour lutter contre le Djihadisme avec le site web Stop-Djihadisme relayant le hashtag #StopDjihadisme. Là aussi, les détournements, plus légers, apparaissent avec notamment #StopMachisme
Des hashtags désormais commentés dans les Mainstreams Medias
Particularité de ces campagnes populaires : elles ont permis que le Hashtag et ses utilisations ne soient plus cantonnés aux médias spécialisés : on en parle dans les médias dits "traditionnels" (Presse, Presse Web, PQR, TV, Radio) et le dièse # se propage même dans la rue.
Sur les hashtags étudiés ces 30 derniers jours, 34% sont présents en dehors de Twitter avec 13% sur Instagram, 7% sur Facebook et , fait notable, 5% cités au sein des sites de presse et d'actualités : #JeSuisCharlie a rendu le hashtag populaire en étant expliqué dans les médias classiques. Sur les 30 derniers jours, on parle dans les sites de News de #JeSuisCharlie (71%), #CharlieHebdo (7%), #JesuisKouachi (5%), ou encore #JesuisAhmed (5%). Seulement 16 sites de presse évoque #IamMuath (et équivalences) dont 80% d'américains ou britanniques...
Nul doute que l'impact du mouvement JeSuisCharlie marquera longtemps l'utilisation du hashtag.
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Ecrit par Christophe Asselin
Christophe est Senior Insights & Content Specialist @ Onclusive. Fan du web depuis Compuserve, Lycos, Netscape, Yahoo!, Altavista, Ecila et les modems 28k, de l'e-réputation depuis 2007, il aime discuter et écrire sur la veille et le social listening, les internets, les marques, les usages, styles de vie et les bonnes pratiques. Il est expert Onclusive Social (ex Digimind Social)