Avant l’invasion de l'Ukraine en février, le contrôle voire le blocage des réseaux sociaux était déjà bien enclenché et ce dès 2021. La tendance d’un contrôle renforcé voire d’une reprise en main complète et d’une interdiction des grandes plateformes social media par certains Etats s’est accrue en 2022.
Evidemment, le contrôle et la censure des plateformes social media atteignent leur paroxysme avec la guerre en Ukraine et les censures entreprises par le Kremlin. Non sans rappeler les mesures du pouvoir de Pékin.
Selon que les régimes sont de nature plus ou moins démocratique ou autoritaires dans leur mode de gestion de l'économie et de contrôle des citoyens, au-delà d’une volonté de régulation, on peut assister à une véritable mainmise de certains gouvernements sur des acteurs majeurs des médias sociaux et du web notamment. Cette régulation appuyée, au-delà du contrôle des entreprises, peut d’ailleurs aussi concerner les usages du public. Bien évidemment, il n'y pas de commune mesure entre tentatives de régulation des usages afin de préserver le public et interdiction et censure des plateformes de réseaux sociaux par certains régimes autoritaires.
La première version de cet article est parue dans le nouveau Guide des tendances 2022 en digital, marketing & social média, un recueil des points de vue, articles et analyses de nombreux spécialistes.
Le Guide Tendance 2022 en Social Media, Digital et Marketing
En septembre dernier, des sénateurs américains ont lancé une enquête sur les dangers potentiels d’Instagram envers les adolescents. Les démocrates à la Chambre et au Sénat ont qualifié la réponse de Facebook de mettre en pause le développement du produit Instagram destiné aux enfants de moins de 13 ans d'”insuffisante''. Cela fait suite à des fuites de documents internes à Meta (Facebook) qui révélaient que la société était consciente qu’elle pouvait « causer du mal aux adolescentes ». La lanceuse d’alerte Frances Haugen, ancienne ingénieure de Facebook a témoigné devant le Sénat américain en octobre pour mettre en cause les pratiques de Facebook et d’Instagram.
En décembre, Adam Mosseri, le patron d’Instagram, a témoigné à son tour devant des sénateurs américains, pour s’expliquer sur les effets addictifs de sa plateforme. Là où il propose la création par le secteur du web d’une instance de régulation qui définirait des règles communes, le président démocrate de la sous-commission de la protection des consommateurs lui a rétorqué :
« On n’en est plus à l’autocontrôle ». Un autre sénateur d'ajouter : “Vous êtes le nouveau tabac, que ça vous plaise ou non”
De fait, le congrès américain tente de réguler le géant des réseaux sociaux depuis plusieurs années. Le PDG du groupe, Marck Zuckerberg, a souvent été convoqué devant le Congrès, et notamment dès 2018, pour s'expliquer sur l'affaire Cambridge Analytica, puis en 2019 pour expliquer Libra, la crypto monnaie jugée dangereuse, mais aussi en mars 2021 pour s'expliquer sur la désinformation (2 mois après l'assaut du Capitole), en compagnie de ses homologues dirigeants de Google et Twitter d’ailleurs.
La Russie montre les dents face aux réseaux sociaux, américains mais aussi locaux et marque une volonté nette de contrôle voire de vassalisation, et ce bien avant l’invasion en Ukraine et la censure des médias et médias sociaux :
En décembre 2021, le gouvernement russe avait ainsi infligé une amende à Twitter, à Meta (maison mère de Facebook et Instagram), ainsi qu'à TikTok (1), déclarés coupables de ne pas avoir supprimé des contenus jugés illégaux par les instances d'Etat. Depuis mars, Twitter avait également vu sa vitesse bridée à plusieurs reprises, étant accusé par le Kremlin de véhiculer des messages à caractères pornographiques et pédophiles. Cette volonté de reprendre la main sur les informations circulant sur les réseaux sociaux ne s'arrêtent pas là : le pouvoir russe exige aussi des grandes plateformes de médias sociaux étrangères de s'installer en Russie et d’y héberger les données des utilisateurs russes sous peine d’'interdiction, à terme, de commercer sur le marché russe. WhatsApp, Twitter et Facebook ont déjà reçu une amende pour ces motifs durant l'été 2021 (2).
Mais cette mainmise sur les réseaux sociaux par le pouvoir russe concerne aussi les "champions" locaux :
Le Facebook russe, VKontakte, longtemps leader devant son cousin américain, est passé en décembre sous contrôle direct du géant gazier Gazprom, et donc du Kremlin. Sa filiale Gazprom Media règne déjà sur plus de 50 radios et télés.
Le nouveau patron de VK n’est autre que le fils de Sergueï Kirienko, un des piliers du Kremlin, directeur adjoint de l’administration présidentielle (3).
Avec l’invasion de l’Ukraine en février et le verrouillage des médias et des canaux de diffusion de l'information non officielle, le Kremlin a opéré un blocage pur et simple des principales plateformes social media :
Le 14 mars, c’est Instagram (groupe Meta) et ses 63 millions d’utilisateurs qui devient inaccessible en Russie.
Le régulateur russe des médias et d’Internet, Roskomnadzor, avait annoncé, le 11 mars, qu’il allait restreindre l’accès à Instagram dans le pays. La Russie était jusque là le 5ème pays utilisateur. Une décision en réaction à l'annonce de Facebook de l’assouplissement de ses règles vis-à-vis de certains messages violents visant les troupes russes ou Poutine en personne. Le régulateur russe des médias et d’Internet, chargé de la censure en ligne, avait ainsi annoncé, vendredi 11 mars, qu’il allait « restreindre » l’accès à Instagram dans le pays.
Cela succède au filtrage de TikTok : Depuis le 8 mars, les internautes de Russie n’ont désormais plus accès aux contenus postés sur le réseau social.
L’accès à Facebook était, lui, bloqué depuis le 4 mars. Le réseau est accusé de "discriminer" les médias russes comme par exemple la télévision du ministère de la défense Zvezda.
Ce même jour, le régulateur russe de l'internet avait bloqué Twitter. Depuis, pour échapper à la surveillance russe, Twitter comme Facebook se sont lancés sur Tor, une des portes d'entrées du dark web et donc d’un internet anonyme.
Enfin, cette censure des réseaux sociaux en Russie marque une étape importante le 21 mars : Un tribunal russe interdit les réseaux sociaux Facebook et Instagram sur le territoire de la Russie pour « extrémisme ». Cette interdiction, qui ne fait qu'entériner le blocage déjà en place, ne concerne toutefois pas (encore ?) WhatsApp.
Au-delà de l’interdiction pure et simple, les autorités russes demandent régulièrement le retrait de contenu de moteurs comme Google. Depuis 2014, les demandes de retraits ont littéralement explosé, comme le montre le graphe ci-dessous.
Du côté de la prise de contrôle ou de censure marquée, le régime chinois a pris de nombreuses mesures fortes en 2021 via plusieurs réformes du digital notamment. Depuis 2020, Pékin "sévit" contre ses géants du numérique jugés trop indépendants vis-à-vis de la ligne du pouvoir central. Aussi, les enquêtes et décisions de la justice chinoise notamment contre les monopoles, l'utilisation abusive des donnés personnelles et la concurrence déloyale se multiplient comme c'est le cas pour Alibab Group ou Tencent (4) .
Concernant le social media, le pouvoir de Pékin entend aussi réguler les plateformes :
En janvier 2021, le pouvoir chinois montre encore une fois que les entreprises du web doivent respecter elles aussi la ligne de conduite de Pékin. Ainsi, une agence gouvernementale, l'Office national de lutte contre la pornographie et les publications illégales, a indiqué avoir infligé à Douyin, le TikTok chinois, une amende pour diffusion d'informations obscènes, pornographiques et vulgaires (5).
Côté usage des jeunes chinois, la régulation se met aussi en place.
En Septembre, ByteDance, propriétaire de Tiktok et Douyin, a annoncé que les moins de 14 ans ne pourront désormais utiliser l’appli TikTok que 40 minutes maximum par jour (6) . De plus, pour préserver le temps de sommeil des adolescents, l'accès au service leur sera bloqué entre 22 heures et 6 heures du matin.
Cette limitation de ByteDance fait suite à la décision du pouvoir, fin août, de limiter le temps de jeux vidéo des moins de 18 ans à 3 jours par semaine. Prenant acte de cette nouvelle régulation sur les loisirs des jeunes chinois, ByteDance a donc préféré prendre les devants.
Google a quitté le marché chinois dès 2010. Twitter et Facebook y sont interdits. Restait LinkedIn. La version chinoise de la plateforme de mise en relation professionnelle a été remplacée fin 2021 par une version très simplifiée sans possibilité de poster des messages ou d'en commenter…En cause, la loi sur la protection des données personnelles chinoises qui renforce notamment le contrôle du gouvernement sur les données des entreprises du web mais aussi les critiques de Pékin sur des contenus jugés subversifs et donc nécessitant censure et suspension de comptes (7).
Mais les entreprises ne sont pas les seules victimes du contrôle et de la censure de Pékin sur le web : le pouvoir chinsois peut aussi “effacer” des leaders d'opinions du web. Le 21 décembre, la “reine” chinoise du live shopping, Huang Wei, alias «Viya», a disparu du web. L'influenceuse suivie par 110 millions de personnes (8) sur les réseaux sociaux pour ses vidéos de téléachat en direct venait d’écoper d’une amende de 210 millions de dollars de la part du fisc chinois pour avoir “oublié” de déclarer des centaines de millions de revenus.
Par ailleurs, l’agence chinoise de contrôle du numérique a annoncé avoir supprimé plus de 20 000 comptes d'influenceurs en 2021 pour avoir «diffusé du contenu erroné et pollué internet».
Et puis, la Chine s’attaque aussi aux algorithmes des plateformes comme Alibaba ou Tencent : le 1er mars, une nouvelle réglementation entend limiter les recommandations algorithmiques : elles ne peuvent favoriser des contenus violant les lois chinoises.
Les utilisateurs peuvent en outre refuser les recommandations des algorithmes et décider ce qu’ils verront s'afficher sur les réseaux sociaux ou sites d’e-commerce
Par ailleurs, et c’est plus ambitieux, les géants chinois de la tech devront informer les utilisateurs sur les principes, objectifs et mécanismes des algorithmes (9) .
De nombreux pays souhaitent davantage de transparence sur les algorithmes de la part des plateformes :
Aux USA, un ancien cadre de Facebook pousse à ouvrir les « boîtes noires » des médias sociaux. Brandon Silverman travaillait pour le géant du social media depuis 2016. Il a remarqué que les algorithmes tendaient à mettre en avant des contenus sensibles comme ceux de l'extrême droite ou des fake news sur la santé. Depuis son départ, il travaille avec un groupe de sénateurs américains sur une législation visant notamment à obliger les plateformes de médias sociaux à informer en transparence sur les mécanismes d’affichage de contenu et les algorithmes de recommandation (10).
En France, depuis…2014, le Collège des Bernardins et des cadres de France Télévisions notamment demandent aussi l’ouverture des “boites noires” des “GAFAM” (11).
En 2019, un rapport remis au Secrétaire d’État au numérique recommandait la création d’une autorité indépendante pour surveiller les réseaux sociaux, contrôler le bon respect des obligations de transparence et la bonne modération des contenus. Le rapport préconisait de « larges pouvoirs d’accès à l’information détenue par les plateformes » (12).
L’article 19 bis de la loi dite “séparatisme” de février 2021 donne au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) des pouvoirs en matière de régulation des services de modération : le texte impose aux plateformes de soumettre leurs algorithmes à une évaluation du CSA (13). Mais dans les faits ?
Sources :
1.https://www.zdnet.fr/actualites/moscou-charge-twitter-google-meta-et-tiktok-39934371.htm
3. https://www.ouest-france.fr/europe/russie/comment-le-kremlin-controle-t-il-le-facebook-russe-893cd90e-5e7e-11ec-b2cb-afc8b04d8652
5.https://siecledigital.fr/2021/01/11/pekin-douyin-amende-pornographiques/
6.
7.
11.https://media.collegedesbernardins.fr/content/pdf/Recherche/1/Sem6/2014_11_25_SHRE_Algorithme_CR.pdf