[Interview] Faustine Boulay : les fakes news en Histoire, Histoire de l'art et Archéologie
Dans le cadre de notre guide "Fake News" Comment détecter et lutter contre la désinformation sur les médias sociaux, j’ai eu le plaisir d’interviewer Faustine Boulay *, spécialiste des “fake news “ et de la désinformation dans les domaines de l’Archéologie, de l’Histoire de l’Art et de l’Histoire. Elle a créé l’ALDHHAA, une association qui lutte contre ce type de désinformation.
Guide : "Fake News" Comment détecter et lutter contre la désinformation sur les médias sociaux
Digimind - Pouvez-vous présenter votre association et son rôle ?
“L’association ALDHHAA se définit comme une Association de Lutte contre la Désinformation en Histoire, Histoire de l’Art et Archéologie. Son action est donc d’agir contre la désinformation et la réécriture des faits historiques (aux dépens des consensus scientifiques) notamment aux profits d’idéologies politiques et/ou nationalistes, de manipulations des discours, de théories sectaires ou complotistes.
L’association se compose aussi bien de professionnels du monde de l’archéologie, de l’histoire ou de l’histoire de l’art, mais aussi de personnes passionnées par ces domaines et qui souhaitent agir contre la désinformation.
Elle tend à vulgariser les connaissances et promouvoir l’esprit critique, et mettre en avant ou participer à des projets dans ces domaines.
Essentiellement, les actions de l’association vont de la veille sur les réseaux sociaux (internet étant une chambre d’écho majeure pour les fake-news et la désinformation), les conférences, les interventions à la radio, les conférences-ateliers, les interventions auprès des scolaires et des jeunes qui peuvent être les premières victimes de la désinformation en histoire et archéologie.
L’association ALDHHAA est joignable par mail : aldhhaa.association[at]gmail.com
Comment se matérialisent les fakes news/la désinformation en Histoire, Histoire de l'art et archéologie ?
Les « fakes » en archéologie sont anciens, mais ils ont commencé à prendre de l’importance auprès du grand public à partir des années 1960 avec en France des ouvrages comme « Le Matin des Magiciens ».
Avec internet et l’apparition des réseaux sociaux ou de plateformes telles que Youtube, les fake news ont pris une ampleur énorme. Tout un chacun peut ainsi devenir explorateur, chercheur, et partager ses réflexions au plus grand nombre, sans quasiment aucun contradicteur (ou s’il y en a, il peut le bannir, supprimer ses commentaires etc).
Les plus grandes plateformes telles Facebook, Youtube, Twitter, où l’information peut être diffusée de façon massive en quelques instants, sont les foyers principaux de diffusion des fakes et de la désinformation. En ce qui concerne le travail de notre association, c’est surtout sur Youtube que les choses se font. Des chaînes entières sont consacrées à ces pseudo-théories, des pseudo-documentaires y sont diffusés, et sont visionnés des milliers voire parfois des milliards de fois, par des spectateurs parfois jeunes.Pouvez-vous nous parler d'exemples marquants ? Que sont ces faux documentaires sur YouTube ?
Le médium le plus efficace pour ces pseudo-théories est la forme documentaire. Il faut dire qu’auprès de la majorité des gens, le documentaire est un format en qui ont peut avoir confiance, qui est supposé nous présenter la réalité des choses.
Le fameux documenteur « La Révélation des Pyramides », accumule les mensonges et alimente l’idée que les peuples non-occidentaux ne sont pas les bâtisseurs de leurs monuments remarquable...
Le documentaire donne un côté « scientifique » au propos traité.
Les auteurs de pseudo-théories reprennent les codes du documentaire pour faire passer leurs propos comme une vérité. Ils vont aussi jouer sur des biais émotionnels : le narrateur se présente comme un non-scientifique, auquel la grande majorité des spectateurs peut s’identifier. Le propos dans ces pseudo-documentaires accumule les questions, sans citer les réponses apportées par les scientifiques, ou la recherche scientifique actuelle.
Ce genre de pratique alimente aussi bien des mensonges ou des « légendes urbaines » qu’une défiance envers les scientifiques et la Science en générale. C’est là que s’ouvre la porte du complotisme, et parfois même d’idéologie nauséabonde (racisme, dérives sectaires etc). Le tout est très souvent accompagné de très belles images, et d’un scénario et d’une musique qui empruntent des éléments percutants au monde du cinéma.
Ces pseudo-documentaires, ou documenteurs, peuvent être diffusés à la télévision, mais trouvent majoritairement leur public sur YouTube, ou d’autres plateformes du genre. C’est par ces biais qu’ils vont trouver un public, et même des financements conséquents.
Ainsi, le fameux documenteur « La Révélation des Pyramides », qui accumule les mensonges et qui alimente l’idée que les peuples non-occidentaux ne sont pas les bâtisseurs de leurs monuments remarquables, a récolté sur Helloasso plus de 180 000 euros grâce à des dons de particuliers afin de réaliser leur opus 2 (qui malgré les années qui passent n’est toujours pas sorti).
Chaque année voit un documenteur être publié sur internet, et leurs nombres de vues dépassent de loin le moindre documentaire sérieux et scientifique. De même, des professionnels et passionnés – tel « Temps Mort », « Passé Recomposé », « SCAM » ou le vidéaste Thomas LAURENT, etc- essaient d’offrir une réponse scientifique aux fake news sur ces mêmes plateformes, mais encore une fois, leur audience est faible comparée à celle des documenteurs.
Comment lutter contre ce type de fake news ? Est-ce que l'éducation aux médias et à un esprit critique est suffisante selon vous dans les écoles ?
A l’heure actuelle on peut être rapidement découragé dans cette lutte, cependant il est important de comprendre que seul un travail sur plusieurs plans pourra être efficace : la vulgarisation, l’éducation, l’investissement des scientifiques et des services publics.
1. La vulgarisation est un des premiers axes. C’est dans ce cadre que notre association agit le plus, et c’es un gros morceau, car on ne vulgarise pas de la même manière auprès d’adultes, d’enfants etc.
Il est une donnée qui nous semble aussi très importante dans notre réflexion : on nous reproche parfois dans nos actions de « briser le rêve » et c’est une chose que nous devons entendre. Ainsi, dans la vulgarisation, le « debunk » ne suffit pas. Pour être entendu, il ne faut pas désenchanter sans réenchanter ensuite, et pouvoir ainsi présenter au grand public des passionnés, leur permettre de s’adresser sans peur à des scientifiques, leur permettre d’expérimenter etc. Combien d’archéologues d’aujourd’hui ont voulu devenir archéologues en regardant Indiana Jones ou même Stargate ? La vulgarisation est un pont inestimable entre le grand public et le monde scientifique.
2. L’éducation, que ce soit aux médias, à l’esprit critique est aussi d’une importance majeure, et cela va bien au-delà du domaine de notre association. A cela nous pourrions ajouter une certaine historiographie des sciences pour répondre à des questions telles que : « Comment sait-on telle chose ? » « Comment on sait que l’on sait ? », et ainsi comprendre comment le savoir se construit, et plus généralement comment on « fait la science ».
3. Il est aussi important de se poser la question du rapport entre les scientifiques et le grand public. A l’heure actuelle, la défiance vis-à-vis du monde scientifique se constate chaque jour, avec des conséquences non négligeables. Permettre aux scientifiques et au grand public de se rencontrer, d’échanger (comme nous avons pu le faire au travers de conférences, ou de débats) permet souvent de réduire la méfiance. Il faut insister aussi sur les liens et les apports que les amateurs peuvent apporter au monde scientifique, qui n’est pas le monde dogmatique et fermé que les documenteurs montrent.
La question d’actions du service public peut aussi se poser. Si les documenteurs marchent aussi bien sur YouTube, peut-être la télévision peut-elle aussi, en reprenant certains codes si séduisants des documenteurs, offrir une nouvelle vulgarisation ?
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(*) Historienne de l’art, diplômée de l’Université de Rennes II, de l’Université de Nanterre-Paris Ouest et de l’Ecole du Louvre, Faustine Boulay s'est spécialisée dans les techniques anciennes. Très rapidement dans son parcours, elle s'est retrouvée confrontée aux « fake news » et à la désinformation dans les domaines de l’Archéologie, de l’Histoire de l’Art et de l’Histoire. Face à l’ampleur que ces « pseudo-théories » prennent de plus en plus, elle a décidé de créer une association, pour que les professionnels et amateurs passionnés qui agissent, comme elle, contre la désinformation, puissent avoir une identité visible : L'ALDHHAA (Association de Lutte contre la Désinformation en Histoire, Histoire de l’Art et Archéologie).
Retrouvez l’interview de Faustine Boulay dans le guide
"Fake News" Comment détecter et lutter contre la désinformation sur les médias sociaux
Ecrit par Christophe Asselin
Christophe est Senior Insights & Content Specialist @ Onclusive. Fan du web depuis Compuserve, Lycos, Netscape, Yahoo!, Altavista, Ecila et les modems 28k, de l'e-réputation depuis 2007, il aime discuter et écrire sur la veille et le social listening, les internets, les marques, les usages, styles de vie et les bonnes pratiques. Il est expert Onclusive Social (ex Digimind Social)