Depuis plusieurs années, les réseaux sociaux luttent contre la désinformation et les fake news sur leurs plateformes. Ou plutôt tentent de lutter contre ces fausses informations tant le volume est important et les reproches d’inaction, d’actions inadaptées ou insuffisantes sont fréquents. Les récents signalements de tweets du compte de Donald Trump en novembre par Twitter Inc. puis la suppression de son profil en janvier montre que la modération voire la suppression de contenus litigieux et des comptes de leurs auteurs sur les médias sociaux est un challenge complexe et une prérogative que beaucoup considèrent ne pas devoir être de la seule responsabilité des entreprises gérant ces plateformes.
A l’occasion de la sortie de notre nouveau guide, "Fake News" : Comment détecter et lutter contre la désinformation sur les médias sociaux, nous nous sommes intéressés aux différentes initiatives des réseaux sociaux en matière de gestion des fausses informations, pour Facebook, WhatsApp, YouTube, Twitter, Google et TikTok.
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Depuis plusieurs années, parallèlement aux initiatives de médias, journalistes et associations, les éditeurs de plateformes de réseaux sociaux, afin de lutter contre les fake news et la désinformation, travaillent sur les algorithmes, constituent des war rooms pour les élections, développent des fonctionnalités d’alerting et font travailler des modérateurs. Ainsi, Twitter fait régulièrement le ménage de comptes créateurs ou propagateurs de fausses nouvelle quand Facebook imagine de noter ses utilisateurs en fonction des infox qu’ils signalent ou d'afficher des bandeaux sur les informations douteuses.
Ces mêmes plateformes ont initié à partir de 2017 des partenariats avec certains journalistes pour travailler sur le fact-checking. Toutefois, les critiques envers les moyens engagés et l’état d’esprit de certains réseaux sociaux pour cette lutte sont fréquentes et les journalistes contributeurs ont partagé leur déception dès 2018.
A noter que désormais, les géants des réseaux sociaux travaillent au cas par cas sur certains secteurs et domaines sensibles particulièrement touchés par les fake news : Facebook s’est attelé par exemple en 2019 (donc avant la pandémie Covid-19) à réduire la propagation des fausses informations sur les vaccins par l’interdiction de publicités trompeuses sur la vaccination et la réduction de la visibilité des Groupes et Pages diffusant ce type d’informations dans les résultats de recherche et dans le « newsfeed ».
Les initiatives des réseaux sociaux se sont multipliées en 2020, à l'approche et après les élections présidentielles américaines de novembre; mais aussi du fait de la crise sanitaire internationale qui a vu la prolifération de fausses nouvelles sur les traitements, les chiffres et les vaccins notamment.
Entre le 27 octobre et le 11 novembre 2020, Twitter annonce avoir épinglé 300 000 posts trompeurs sur l'élection américaine (1). Sur ces 300 000 tweets signalés, 456 seulement ont été interdits de partage, commentaire ou mention like (j'aime) selon le réseau social. Près de la moitié des tweets de Donald Trump ont d’ailleurs été signalés par le réseau social dans les jours qui ont suivi l'élection : Le président y assurait, sans preuves, qu'il avait gagné et qu'il existait des fraudes massives.
Plus généralement, Twitter entend limiter les interactions sur des informations “douteuses”, de type retweet, citations et likes (2).
Par ailleurs, Twitter travaillerait sur un outil de modération collective, Birdwatch, afin de contrer les phénomènes de désinformation virale : il sera alorspossible d'ajouter un tweet considéré comme problématique à une «liste de surveillance» et de lui attacher une «note». Celle-ci sera consultable par tous et toutes dans le but d’ajouter du contexte à la publication (3).
Samedi 7 novembre 2020 : un des (nombreux) tweets de Donald Trump signalés par Twitter :
! les sources officielles n'ont peut-être pas annoncé les résultats lorsque cela a été twitté
Google, quant à lui, travaille depuis plusieurs années afin de réduire la part de fake news qui pourraient apparaître dans ses résultats de recherche et sur YouTube en travaillant notamment sur 4 axes :
La révision de ses algorithmes, la lutte contre des sources de faible qualité, la mise en contexte d’informations via des sources reconnues, une meilleure formation des Search Quality raters, qui travaillent à l’identification des contenus de faible qualité. (4)
Et à l’automne 2020, face à la déferlante de fake news sur les vaccins contre la covid-19, Google déploie des panneaux d’information sur ses résultats de recherche et oriente vers des sources faisant autorité sur la vaccination. (5)
Tous les grands médias sociaux sont touchés par les “fake news”. Et le plus visité dans le monde, YouTube, également.
Plus d’un quart des vidéos les plus regardées sur YouTube contiendraient des informations trompeuses sur la maladie Covid-19, a révélé une étude de chercheurs de l’université d’Ottawa au Canada sur un échantillon de vidéos (6).
YouTube a lancé en France en septembre 2020, après d’autres pays, le fact checking des vidéos. Des médias et organismes sélectionnés peuvent ainsi apposer une mise en garde sur une vidéo et rétablir la vérité (7).
Par ailleurs, à l'automne 2020, la plateforme de vidéo de Google affiche aussi des panneaux d’information pour lutter contre les “fake news” sur les vaccins. YouTube avait aussi pris la décision en décembre de supprimer les vidéos affirmant - à tort - que l’élection présidentielle aux Etats-Unis a été la cible de fraudes massives. (8)
150 vidéos en anglais les plus visionnées sur la Covid-19. Source : University of Ottawa - Faculty of Medicine
Facebook a lui aussi annoncé, en décembre 2020, qu’il comptait supprimer « les fausses allégations concernant les vaccins contre le Covid-19 qui auront été démenties par les experts de la santé publique sur Facebook et Instagram » (9).
Par ailleurs, un peu dans le même esprit que Twitter, lors des élections américaines, Facebook avait mis en place un système pour que les membres qui souhaitent partager un contenu lié à l’élection voient d’abord un message les dirigeant vers un centre de ressources fiables sur le scrutin (10).
Continuons pour le groupe Facebook : Depuis l’été 2020, WhatsApp signale par une icône les messages de type “viraux” (identifiés comme partagés de très nombreuses fois) qui n’ont pas été composés par un contact proche. Une fonctionnalité intégrée permet ensuite de rechercher directement dans Google des informations complémentaires sur ce message “viral” (11).
Pour limiter la propagation des fausses informations anti-vaccins, TikTok a annoncé la mise en place de mesures pour lutter contre la désinformation sur les vaccins en décembre 2020. Le réseau social annonce :
Déjà, en octobre 2020, l'AFP avait annoncé un partenariat avec TikTok afin de permettre de lutter contre la désinformation, sur un périmètre pour l'instant limité à quelques pays d'Asie et d'Océanie. Des équipes de l’AFP vérifient les contenus potentiellement faux ou trompeurs de vidéos dans des pays comme les Philippines, l’Indonésie, le Pakistan, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. (13)
Côté institutions, en juin 2020, la Commission européenne a publié de nouvelles lignes directrices pour lutter contre la désinformation, notamment sur les réseaux sociaux. Dans son paragraphe 5, elle demande aux grandes plateformes social media de fournir des rapports mensuels sur leurs actions et politiques de lutte contre les fake news, ainsi qu’une plus grande collaboration avec les acteurs du fact checking (14).
Au-delà des réseaux sociaux, en octobre, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a annoncé en octobre sa collaboration avec Wikipédia, avec qui elle partagera les informations les plus récentes sur la Covid-19.
Objectif : rendre publiques les dernières informations sanitaires les plus fiables, disponibles sur Wikimedia Commons. On retrouve des infographies, des vidéos et d'autres éléments de santé publique traduits dans plusieurs langues nationales et régionales (15).
Mais force est de constater que les fake news polluent largement les réseaux. Ainsi, le jour même de l'élection américaine, les principaux réseaux (comme Twitter, Facebook et YouTube) ont été largement dépassés par un déluge de fausses informations, ont alors analysé les journalistes qui pointent notamment une modération quasi inexistante dans les langues autres que l’anglais. Et le Sénat américain a déjà convoqué par 2 fois les patrons de Google, Facebook et Twitter afin qu’ils s'expliquent sur leur responsabilité de modération du contenu mais aussi d’accusations de manipulation de l'information (16).
Les process et politiques de modération/suppression de contenu par les plateformes sont complexes et les débats associés, notamment quant aux pouvoirs et organisations responsables des suppressions sont tendus car traduisant de multiples points de vue, souvent clivants . Ainsi, alors que de nombreux internautes et célébrités réclamaient l’effacement des comptes sociaux de Donald Trump (17), lorsque que Twitter a procédé effectivement à cette suppression, d’autre voix, de personnalités politiques surtout se sont élevées contre les pouvoirs abusifs des GAFA, cette suppression allant, pour elles, à l’encontre de la liberté d’expression et relevant d'une certaine censure (18).
Par ailleurs, de nombreux observateurs, parmi lesquels des économistes, sociologues et journalistes, estiment que les réseaux sociaux ne jouent pas vraiment le jeu de la lutte contre les fake news, celle-ci allant à l’encontre de leur modèles économiques : en effet, une fausse information est souvent beaucoup plus remarquée, partagée, plus virale que les vraies informations, car faisant appel à des émotions fortes comme l'indignation ou la colère. Autant de caractéristiques qui ont tendance à fortement renforcer le temps passé et l’attrait (l'addiction) des réseaux sociaux pour leur utilisateur, le graal de cette économie de l’attention...
Sources :
1. https://www.businessinsider.fr/twitter-a-epingle-300-000-posts-trompeurs-sur-lelection-americaine-depuis-fin-octobre-1858362. https://siecledigital.fr/2020/11/11/twitter-limiter-likes-infox/
4. https://www.blog.google/around-the-globe/google-europe/fighting-disinformation-across-our-products/
5. https://www.presse-citron.net/google-prend-des-mesures-contre-les-fausses-informations-sur-les-vaccins/
6. https://www.lemonde.fr/blog/realitesbiomedicales/2020/05/19/covid-19-sur-youtube-une-pandemie-de-mesinformation/
7. https://siecledigital.fr/2020/09/28/youtube-fact-check-europe/
8. https://www.leparisien.fr/international/elections-americaines-youtube-va-supprimer-les-videos-affirmant-qu-il-y-a-eu-des-fraudes-09-12-2020-8413427.php 9. https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/12/03/facebook-veut-supprimer-les-fausses-informations-sur-les-vaccins-contre-le-covid-19_6062101_4408996.html
10. https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/26/bientot-des-limitations-de-vitesse-sur-facebook-ou-twitter_6061168_3232.html
11. https://blog.whatsapp.com/search-the-web
12. https://www.ladn.eu/media-mutants/reseaux-sociaux/vaccins-anti-covid-tiktok-lutte-fake-news/
14. Commission Européenne - Lutter contre la désinformation concernant la COVID-19 – Démêler le vrai dufaux https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/communication-tackling-covid-19-disinformation-getting-facts-right_fr.pdf
15. http://www.slate.fr/story/196402/oms-collabore-wikipedia-contre-desinformation-covid-19
16. https://www.lefigaro.fr/flash-eco/les-patrons-de-facebook-et-twitter-a-nouveau-entendus-au-senat-americain-mardi-2020111617. «On a réussi!»: la suppression du compte Twitter de Donald Trump a réjoui un paquet de stars https://soirmag.lesoir.be/348013/article/2021-01-10/reussi-la-suppression-du-compte-twitter-de-donald-trump-rejoui-un-paquet-de
18. Trump banni de Twitter : Les réseaux sociaux sont-ils légitimes à « censurer » le président américain ? https://www.20minutes.fr/high-tech/2948775-20210109-trump-banni-twitter-reseaux-sociaux-legitimes-censurer-president-americain