Nous retrouvons ici la suite de l'interview de Yann Gourvennec (partie 1 ici) créateur de l’agence Visionary Marketing, qui nous parle du Social Media Listening pour les études à l'occasion de la publication de son manifeste pour la refondation des études sur les médias sociaux : “Social Media Listening : du bruit au signal”.
Yann Gourvennec : Il y a quelques années, j'ai réalisé une présentation devant des professionnels des études de marché (un grand cabinet français d'envergure internationale qui avait convié pour l'occasion tous ses experts européens). Je devais y expliquer l'importance de l'Internet et des médias sociaux dans la recherche marketing. La question elle-même m'avait surpris. Ayant moi-même découvert le CAWI* au début des années 90, j'avais développé une méthodologie qui permettait de tester de manière qualitative ou quantitative les retours sur mes produits en temps réel à tout instant. L'efficacité de ce dispositif ne s'est d'ailleurs jamais démentie tout au long de son fonctionnement. Que l'on me demande 20 ans plus tard importance de l'Internet dans l'apport sur les études me paraissait complètement surréaliste. Je suis aperçu que les professionnels que j'avais en face de moi ignoraient tout de la révolution des médias sociaux qui se déroulait pourtant sous leurs yeux depuis déjà quelques années.
Aujourd'hui, les médias sociaux sont une brique incontournable du marketing mais je n'ai pas le sentiment que les professionnels des études soient encore complètement au fait de ces phénomènes qu'on ne peut plus désormais qualifier de nouveau. Il s'agit donc bien d'un monde à inventer, et c'est à cela que doivent s'atteler les professionnels des études marketing et au-delà, tous les professionnels du marketing qui s'intéressent aux études, autant dire l'ensemble des professionnels de ce domaine.
Ce que nous avons suggéré au travers de ce livre blanc, c'est de recourir aux outils de Social Media Listening dans le cadre d'une méthodologie hybride qui permette de mélanger toutes les techniques afin d'améliorer les insights clients. Amorcer une mobilisation conjointe des chercheurs et des praticiens mêlant recherche et expertise professionnelle. C’est une démarche déjà mise en place dans de nombreuses universités et écoles, mais il y a évidemment beaucoup de choses à faire pour continuer de nous rapprocher. Il serait également opportun de bien distinguer le listening (études) et le monitoring (traitement automatique). C’est un vrai défi. L’hybridation des méthodes d’écoute du consommateur peut donc être considérée comme une voie d’innovation et permet de remettre de la catégorisation là où les algorithmes ont tendance à une recomposition des représentations qui ne sont plus statistiques.
Vous avez raison d'aborder ce point. Nous avons ci-dessus décrit l'attitude des professionnels des études, parfois un peu frileuse et certainement en retrait. À l'autre bout du spectre, il y a les professionnels du Social Media Listening, dont nous sommes et vous aussi, qui ont aussi beaucoup à gagner de leurs confrères plus traditionnels. En fait, ni l'un ni l'autre groupe ne détient la vérité, l'avenir et la réalité du terrain se trouvent dans l'hybridation des deux approches. Remettre un peu de rigueur dans les études de Social Media Listening ne leur fera que du bien, par ailleurs moderniser les études à travers le social permettra d'affiner les résultats et d'améliorer les études. En quelque sorte, il faut revenir aux fondamentaux et repenser aux bases des études tout en visant la modernité et ne sacrifier ni l'un ni l'autre.
La cohabitation entre études classiques et approche social media est à mon avis possible sur un grand nombre d'études différentes. Bien entendu, l'approche social media est très différente entre les domaines B2B et B2C, notamment du fait de la différence de volume de bruit généré d'un côté ou de l'autre. En B2B, on sera beaucoup plus dans le signal faible, la nécessité d'écouter des conversations en masse se fait certainement moins sentir. L'écoute y est aussi en général beaucoup plus active puisqu'on est dans des domaines d'experts on n'hésite pas à engager personnellement et directement avec les autres. Mais il me semble que l'hybridation des études peut apporter de nouvelles ouvertures dans de grands nombres de cas. Citons les études d'image, mais aussi les études de perception sur les produits et services, les évolutions de ceux-ci et l'analyse des douleurs clients, un grand classique en design thinking qui est de plus en plus à la mode en conception de produits et de services. En cela, il y a aussi un rapprochement entre B2B et B2C.
Pourquoi pas ? Ce serait peut-être une bonne idée d'écrire cette charte et de décrire maintenant concrètement comment aller plus loin dans l'hybridation des études, c'était une des idées que nous avons eues avec Rozenn Nardin et nous pourrions bien donner ainsi une suite à notre manifeste. Il ne reste plus qu'à l'écrire. Dans un premier temps nous allons nous attacher à adapter notre document en anglais.
Dans le cadre de mon activité professionnelle chez Visionary Marketing, et dans la droite ligne de ce que je réalise autour des médias sociaux depuis une bonne dizaine d'années, je développe de plus en plus les approches marketing autour des techniques de bouche-à-oreille. Je pense même qu'il s'agit d'une des tendances majeures du futur des médias sociaux. Nous sommes allés largement au fond des approches publicitaires sur les médias sociaux qui recouvrent finalement une vision assez faussée de ces outils, qui tend notamment à les transformer en médias en propre (“owned media”) en essayant de ramener les utilisateurs sur des pages des espaces de marques, dont la fameuse page Facebook. Les plates-formes de médias sociaux ne s'y sont pas trompées et il aura suffi d'ajouter des algorithmes (sous couvert de supposées capacités d’hyper ciblage) pour réduire la visibilité des posts écrits sur ces pages. Pour pallier ce problème, la solution est évidente. Il suffit de payer de la publicité, CQFD.
Or, la page Facebook est loin d’être l’Alpha et l’Omega de la stratégie digitale. Les marques qui sont à la pointe de l'utilisation de ces médias sociaux ont compris quant à elles que la véritable façon de les utiliser correctement était complètement à l'opposé de ce schéma préfabriqué qu’on essaie d'appliquer sans succès depuis plus de 10 ans. Le marketing du bouche-à-oreille, ou viral, consiste à créer un contenu différent, si possible extraordinaire, afin qu'il soit partagé par le plus grand nombre. On se repose ainsi sur les ressources et les comptes des médias sociaux des personnes qui partagent ce contenu, et non les pages médias sociaux de la marque.
Voilà à mon avis la bonne façon d'utiliser les médias sociaux (ceci n'empêche pas de payer un peu de publicité pour faire vivre Facebook, mais il faut d'abord faire ses gammes avant de passer à ce stade). Je vois sur le terrain de plus en plus de marques, notamment B2B comprendre ce mécanisme et voir son côté vertueux. Cette généralisation du marketing du bouche-à-oreille, largement inspiré par le boom que nous observons depuis 2014 dans le domaine du content marketing, est aussi en passe de changer la donne dans le domaine des études sur les médias sociaux.
Quand on réalise une publicité, en général on obtient en retour un tableau de bord plus ou moins compréhensible qui permet d’en mesurer l'efficacité, souvent relative, de son opération. En marketing bouche-à-oreille ceci est beaucoup plus difficile et beaucoup plus diffus. C’est même presque l’inverse : on a des preuves de fonctionnement quasi immédiates car on voit les partages ici et là, mais en faire la synthèse est une véritable gageure.
Nous avons besoin de meilleurs outils dans ce domaine qui permettent de tracer la visibilité d’une opération de bouche à oreille (je rejette le terme militaire de “campagne”) au-delà du simple rattachement à un hashtag, qui n'est pas toujours utilisé.
Nous observons une évolution du content marketing, largement inspirée par l’article de Mark Schaefer sur le content shock, qui oblige les marques à se positionner de plus en plus les unes par rapport aux autres en termes d'originalité et de mécanismes de vitalité sur les réseaux sociaux. Ceci va également avoir un impact sur les études et les forcer à évoluer.
Enfin, c’est une des conclusions du baromètre Hootsuite / Visionary Marketing de cette année et qui sera publié début 2017, de nouveaux outils et usages sont nés récemment. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas eu de réelles nouveautés dans le domaine des médias sociaux. En occurrence, c’est la vidéo live qui est en train de changer la donne et je vois bien comment celle-ci va permettre aussi de réinventer les études, les focus groups, les tests produits etc. et permettre de nouvelles approches d’études, notamment dans le marketing au consommateur.
Dans un monde où l’on croit à tort avoir tout inventé, il y a de quoi s'enthousiasmer du fait des ouvertures possibles dans les futures années. Le domaine des études ne fait que commencer à bouger, tout est à créer ou à recréer. Les médias sociaux peuvent nous y aider s’ils sont bien utilisés.
*Les enquêtes CAWI désignent tous les modes d’enquêtes réalisées sur Internet et pour lesquels l’administration et les traitements sont automatisés.
Merci Yann pour toutes ces précisions sur l'utilisation du Social Media Listening et des médias sociaux pour les études. A bientôt !