Depuis septembre 2016, huit médias francophones – Le Monde, Paris Match, L’Équipe, Konbini, Cosmopolitan, Vice, Melty et Tastemade – publient quotidiennement sur Snapchat Discover. Pourquoi ces huit-là ? Parce qu’ils ont été choisis par Snap Inc., l’éditeur de l’application plébiscitée par « les jeunes » pour ses fonctionnalités de partage éphémère de photos et de vidéos.
Ouvert début 2015, Discover est l’espace « contenu Premium » de Snapchat et il faut bien comprendre que n’y entre pas qui veut. Seuls les « vrais » producteurs de contenu – TV, presse et médias web – y sont admis et Snapchat se montre extrêmement sélectif dans le choix de ses partenaires. Ainsi, au lancement de la version anglophone, n’étaient-ils que 11 – dont CNN, MTV et National Geographic – à avoir satisfait aux critères de la plateforme, et 18 à la fin de la première année. Discover délivrait alors, par le biais de ces éditeurs, environ 160 histoires éphémères par jour. Malgré leur durée de vie de 24 heures, ces contenus étaient déjà vus par 60 millions de personnes par mois – de quoi séduire bien des annonceurs et faire saliver les médias français.
La journaliste Alice Antheaume raconte (ici) que Discover a d’emblée suscité l’intérêt des grands médias hexagonaux. Dès mars 2015, donc bien avant qu’on sache s’il y aurait ou non un Discover français, Le Parisien, BFM TV et Le Monde étaient déjà, pour reprendre ses mots, « dans les starting-blocks ». Des trois médias cités, seul Le Monde – approché, il est vrai, par le patron de Snapchat en personne – fait partie des huit heureux élus. On sait que France Télévisions aurait bien aimé en être aussi. Frédéric Bonnard, directeur des éditions numériques du groupe, y a visiblement cru jusqu’au bout. Fin août 2016, il confiait au quotidien Les Echos : « Nous avons soumis des maquettes à Snapchat, qui nous a fait des retours. Nous avons d'ores et déjà investi en mettant à plein temps quatre personnes dédiées à Snapchat, en espérant être sur Discover ». Espoir déçu.
Il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour trouver la principale cause de cet intérêt : ce sont « les jeunes ». Si l’on s’en tient aux derniers chiffres officiels disponibles (décembre 2016), Snapchat c’est 158 millions d’utilisateurs actifs par jour dans le monde, dont presque 74 millions dans la tranche 18-24 ans (46,8 %) et 46 millions dans la tranche 25-34 ans (29,2 %). D’autres chiffres sont compilés ici.
A l’époque où Discover s’ouvrait en France, Snapchat comptait, selon Médiamétrie, 9,6 millions d’utilisateurs actifs par mois, dont 72% de 15-34 ans, et 8 millions d’utilisateurs quotidiens. Pour les titres présents sur Discover, c’est la promesse de pouvoir toucher quotidiennement ceux qui se sont détournés des médias classiques, pour qui un journal ou un magazine papier est un quasiment un OVNI, et dont le premier écran n’est ni celui de la télé, ni celui de l’ordinateur, mais celui du smartphone dont ils ne se séparent jamais. La perspective d’un rendez-vous quotidien avec les 25-34 ans et surtout les 15-24 ans est une opportunité aussi alléchante qu’inespérée, justifiant amplement l’effort à consentir.
Pour son premier bouquet francophone, Snap ne s’est pas contenté de choisir parmi les médias ceux qui auraient le privilège d’être sur Discover. La maison-mère de Snapchat a imposé ses conditions. En synthèse : publier 7 jours sur 7, des contenus exclusifs et originaux, conformes aux codes visuels ainsi qu’à l’esprit ludique et 100 % mobile, qui a fait le succès de l’application.
Les aspirants à l’édition française de Discover ont dû démontrer leur capacité à répondre à ces exigences en soumettant à Snapchat des contenus pilotes pendant plusieurs semaines. Paris Match et Le monde ont respectivement produit 60 et 330 contenus tests avant d’être agréés sur la plateforme.
Tous les médias choisis ont constitué des équipes dédiées – 5 personnes à temps plein, 7 pour Le Monde – pour être en mesure de publier chaque jour les 10 à 15 contenus originaux demandés par Snapchat. Pas question de recycler ce qui existe ailleurs, dans les versions papier, télé ou web. Pour se conformer au format imposé des « stories », il faut faire visuel, court et percutant. D’où, entre autres, de nouvelles compétences : le recrutement de motion designers dans toutes les équipes.
Les jeunes rédactions dédiées à Discover ont dû apprivoiser le format 9/16e vertical propre au smartphone (y compris pour les vidéos) et le système de navigation à la fois haut-bas et gauche-droite qu’il impose. Elles ont aussi dû apprendre à structurer l’information et la narration de chaque story en articulant un « top snap » (1er écran d’une story) se suffisant à lui-même ou suffisamment sexy pour donner envie de passer d’un coup de pouce au « bottom snap » où le sujet est développé. « Le top snap doit donner envie, interpeller, mais aussi communiquer clairement de façon animée une information principale, grâce à une vidéo ou une animation », explique ici Emmanuel Alix, Directeur du pôle numérique de L’Équipe. Et mieux vaut être percutant dans tous les snaps parce que plus l’utilisateur en voit, plus il a de chance de voir apparaître à l’écran le ressort caché de cette nouvelle machine de guerre : la publicité.
Les annonceurs ont répondu présents dès le début de Discover en France. On apprend par Les Echos que « Snap se félicite que Discover France ait attiré des annonceurs comme Sephora, Netflix, le Service d'information du gouvernement (SIG), Louis Vuitton, Dior, Société Générale et La Banque Postale ».
Tout le monde est plutôt discret sur le sujet… mais, sauf si les conditions ont évolué entre temps, on sait tout de même par l’Obs que « lors du lancement de Discover [en janvier 2015], l'entreprise avait précisé prendre une commission de 40% sur les publicités des médias partenaires ».
Le point le plus intéressant est que Discover paraît avoir trouvé la bonne formule pour faire cohabiter harmonieusement publicités et contenus éditoriaux. S’il y a en moyenne une pub vidéo plein écran de 10 secondes (maximum) tous les trois snaps, l’utilisateur peut la « swiper » immédiatement, contrairement aux pré-rolls qui nous agacent tant sur certains médias web… L’efficacité devient alors affaire de répétition, à condition toutefois que la marque soit mise en avant dès la première seconde. Fini les messages elliptiques et à rebondissement… Les créatifs doivent eux aussi s’adapter aux contraintes de ce nouvel environnement.
C’est difficile à dire car les médias concernés ont peu communiqué sur les chiffres au cours de leurs premiers mois de présence sur Discover. Selon Stratégie, au bout d’un mois, c’est Melty qui obtenait la meilleure audience avec 800 000 à 1,2 million de visites par jour, devant Konbini (entre 500 000 et 700 000) et Vice (autour de 400 000). Le Monde et L’Équipe attiraient pour leur part entre 200 000 et 400 000 visiteurs par jour. De beaux chiffres, même si les jeunes utilisateurs interrogés par Télérama fin octobre 2016 se montraient plutôt critiques sur l’utilité de Discover et l’intérêt des contenus proposés… Fin mars 2017, Snap indiquait néanmoins que l’audience de Discover France avait doublé et que les snapchaters y passaient 3 fois plus de temps qu’au début.
Quoi qu’il en soit, l’aventure a indiscutablement donné un coup de jeune aux rédactions, tant par le renouveau créatif qu’elle implique que par les perspectives d’élargissement d’audience qu’elle laisse entrevoir. On espère sincèrement que L’Équipe avait raison de se féliciter que « selon Médiamétrie, 80% des lecteurs de L’Équipe sur Snapchat ne sont pas sur lequipe.fr, et achètent encore moins l’édition papier ». On espère aussi que le Monde, sans doute le titre qui a le plus à y gagner, ait vu les premières espérances de Michaël Szadkowski se concrétiser : « le fait de devoir publier tous les jours des informations sur Discover, avec des formats visuels et mobiles, assez différents de ce qu’on fait d’habitude, va nous donner de nouvelles compétences et de nouveaux réflexes de publication ». Oui, ça, en tant que lecteurs, on l’espère vraiment !