Qu’on l’appréhende comme un réseau social ou comme une vidéothèque géante, YouTube caracole en tête des classements et collectionne les records. En 2016, la plateforme d’hébergement de vidéos a accueilli chaque jour 1,5 milliard de visiteurs, ce qui en fait le site le plus visité au monde – devant Google (1,4 milliard) et, plus inattendu compte tenu de son nombre phénoménale de membres, devant Facebook.
Il faut dire que, racheté par Google en 2006 – alors que la plateforme d’hébergement de vidéos n’avait encore que 19 mois d’existence – YouTube a largement bénéficié de la mise en avant de ses contenus dans les résultats du moteur de recherche le plus utilisé dans le monde. A l’époque, Google avait déboursé 1,65 milliard de dollars pour cette acquisition, un montant qui paraissait faramineux et qui prêterait presque à sourire aujourd’hui, après les...22 milliards déboursés en 2014 par Facebook pour WhatsApp… On s’habitue aux montants vertigineux.
Quoi qu’il en soit, YouTube cartonne et laisse dans l’ombre les autres plateformes de partage vidéo, dont Viméo et, surtout, sa rivale Dailymotion, ex-pépite française, tombée en 2015 de l’escarcelle d’Orange dans celle du Groupe Bolloré, et qui visiblement peine à regagner des parts d’audience…
Je ne sais pas comment vous utilisez YouTube mais, personnellement, je m’y comporte principalement comme un consommateur : j’ai beau avoir un compte et être abonné à quelques chaînes, j’y atterri la plupart du temps à la suite d’une recherche Google ou directement dans YouTube. Et là, miracle toujours renouvelé de la sérendipité, me laissant porter par les enchaînements de recommandations, je peux m’égarer pendant des heures à visionner des choses surprenantes et d’autres, totalement improbables allant de la recette de cuisine filmée aux clips les plus ringards de chanteurs des années 1970… Non, même sous la torture, je n’en dirai pas plus : je tiens à conserver l’estime de ceux qui me prennent pour quelqu’un de sérieux… Mais je confesse sans honte avoir, moi aussi, regardé sur YouTube des vidéos de chats ou de bébés animaux. Que celui qui ne l’a jamais fait me jette la première pierre ☺.
L’offre est absolument gigantesque. Déjà inépuisable, elle s’accroît, dit-on actuellement de 600 000 heures supplémentaires par jour ! Même avec les vidéos postées de multiples fois par des utilisateurs différents, c’est énorme. On y trouve donc, sur tous les sujets possibles et imaginables, tout ce qu’on veut : du pire et du meilleur ; du très long au très court ; de l’original et de la copie ; du légal, de l’autorisé, du piraté et du carrément illégal qui, supprimé ici ou là après détection par les robots censeurs de la plateforme, resurgit souvent ailleurs. Et tout cela nous fait, chaque jour, 1 milliard d’heures de vidéo consommées ; des dizaines de millions de « pouces bleus » et probablement des centaines de millions de commentaires, dans 76 langues.
Et en France, quels sont les chiffres ? Vous les trouverez résumés en 1 minute 30 dans la deuxième partie de cette vidéo :
Permettre à n’importe qui de mettre en ligne et partager n’importe quelle captation vidéo, sans souci de qualité d’image et de son, ni jugement sur le contenu, c’est ce qui a fait le succès initial de YouTube. Les médias traditionnels ne s’en sont guère souciés, n’imaginant pas une seconde que, au milieu de ce grand « n’importe quoi », pouvait émerger des talents, dans des domaines qu’ils ne couvraient pas eux-mêmes, notamment le gaming et l’humour déjanté. Il leur a fallu du temps, aux médias audiovisuels, avant de comprendre – et a fortiori admettre – qu’une partie de leur audience, les « ados », avait déserté leurs programmes pour suivre des « inconnus » selon leurs anciens critères : les youTubeurs. Certains de ces « inconnus » comptent leurs abonnés en centaines de milliers, voire, pour une petite minorité, en dizaine de millions.
En mars dernier, l’ADN a recensé les 15 plus gros YouTubeurs du monde. De Fine Brothers Entertainment au controversé Suédois PewDiePie, ils affichaient chacun entre 15 millions et 54,1 millions d’abonnés – soit, en cumulé, 324,6 millions d’abonnés et cela a déjà beaucoup augmenté. Et même si la superstar PewDiePie vient de quitter YouTube pour Twich, cela fait beaucoup, beaucoup de monde – une cible de choix qui n’a évidemment pas échappé aux annonceurs.
En France, où une personne sur deux va donc tous les jours sur YouTube, les chaînes de télé traditionnelles ont tardé à prendre conscience du phénomène des YouTubeurs. Il a bien fallu qu’elles se rendent à l’évidence quand les Cyprien, Norman, Squeezie et autres ont allègrement franchi le cap du million d’abonnés et du milliard de vues. Fin 2015, l’incrédulité régnait encore quant à la validité de ces chiffres d’audience, comme en témoigne cet extrait de l’émission On n’est pas couché :
On constate que, dans l’esprit du présentateur-producteur et de ses acolytes-chroniqueurs, YouTube n’est qu’un moyen de se faire connaître avant d’entrer dans « la vraie vie », celle des vraies scènes de spectacle et de la vraie télé… C’est vrai qu’un certain nombre de YouTubeurs ont franchi le pas et passé des accords avec des chaînes de télé en quête de rajeunissement de leur audience et, restons lucides, de maintien de leurs recettes publicitaires. C’est ainsi que mi-2016 Norman et Cyprien ont été enrôlés par TF1, ce que le journal Le Monde qualifiait "de belle prise" , l’expression en disant long sur la hiérarchie qui subsiste dans les vieux médias…
Les marques ont été plus rapides à voir le potentiel que représentent les youTubeurs. Qu’on y soit sensible ou hermétique, les youtubeuses « beauté », « mode » et/ou « lifestyle », très courtisées par les marques, ont un indéniable pouvoir d’influence et de prescription auprès de leurs publics qui dépassent les seules adolescent(e)s.
Que ceux qui consacrent du temps à écrire et produire des vidéos monétisent leur audience et leur notoriété, et en tirent des revenus cela ne me choque pas plus que cela. Oui, une toute petite minorité de stars touchent des revenus très substantiels de leur chaîne YouTube :
Mais tant qu’ils n’y perdent pas leur âme, ce que leurs publics seraient prompts à sanctionner, et qu’on ne nous impose pas d’ingérer plus de pub que de raison avant d’accéder à leurs productions, cela ne gêne personne. Si je ne crois pas qu’on devienne YouTubeur pour « faire de l’argent », il se peut cependant que les dispositions récentes de YouTube privant de revenus publicitaires les chaînes cumulant moins de 10 000 vues (soit 90% des YouTubeurs), en découragent certains. A moins que cela ne les pousse à être meilleurs, plus incisifs, plus créatifs, et donc plus attractifs – qui sait ?