Les marques en politique constituent un axe de communication délicat. En ces temps d’élections à répétition – primaires, présidentielle et bientôt législatives – le terme « politique » s’entend inévitablement au sens de « politique politicienne », et « engagement » au sens de « soutien » à tel ou tel candidat, parti ou mouvement. Pas besoin de chercher très loin pour comprendre que c’est un terrain extrêmement périlleux. La prise de position de Francis Holder, fondateur du groupe Holder (propriétaire des marques Paul et Ladurée), avant le premier tour de la présidentielle, illustre ce que ne peut résolument pas être l’engagement politique d’une entreprise…
Le 8 avril, sur le compte Twitter Fillon 2017, le fondateur des boulangeries Paul apparaît dans une courte vidéo où il annonce son adhésion au programme de François Fillon et sa décision de voter pour ce candidat.
Le problème est qu’il prétend s’exprimer « en tant qu’ambassadeur des 14 000 personnes que forme l’entreprise (sic) ». Et il insiste : « je me fais, moi, l’ambassadeur du personnel ». Évidemment, les salariés ne lui ont pas donné un tel mandat et c’est peu dire qu’ils n’apprécient pas du tout que M. Holder parle en leur nom. Saisissant la balle au bond, la twittosphère s’empresse de dénoncer : « des pratiques patronales médiévales », une « atteinte à la liberté d’opinion », la qualité et le prix des produits Paul, et de lancer en représailles le hashtag #boycottPaul, largement repris. On exhume, au passage, de vieilles histoires de souris se promenant dans les vitrines d’une boulangerie Paul… En parallèle, toujours sur Twitter, David Holder, président de la Maison Ladurée, se désolidarise fermement de l’annonce politique de son père :
Le message de David Holder résume en revanche la ligne de conduite à laquelle devrait se tenir tout dirigeant d’entreprise. Aucun n’a la légitimité d’imposer ses positions partisanes au collectif humain qu’est l’entreprise ; aucun, de surcroît, ne peut le faire sans que cela rejaillisse d’une manière ou d’une autre sur la réputation de la marque.
En juin 2016, Michel et Augustin (la marque) reçoit le même François Fillon dans le cadre du cycle de rencontres « Boire une vache avec… ». Ce n’est pas le premier homme politique à y participer. Sauf que celui-ci est en campagne (pour les primaires de la droite et du centre) et qu’Augustin Paluel-Marmont, un des deux « trublions » fondateurs de la maison, s’aventure à déclarer que « François Fillon est le seul homme politique à formuler un horizon économique pour la France ».
Si la déclaration n’engage que lui, elle est récupérée par le candidat et reprise par les médias, par exemple ici ou ici. Les fans de la marque s’en émeuvent, certains appellent au boycott et le community manager essaie comme il peut de rattraper le coup… L’affaire aurait pu se tasser mais elle rebondit en octobre quand le mouvement La Manif pour tous, proche de F. Fillon, renvoie l’ascenseur à Michel et Augustin avec ce tweet :
Compte tenu des positions ultra-conservatrices des auteurs du tweet, voilà la marque Michel et Augustin accusée d’être « homophobe et anti-IVG » et obligée de se défendre, tandis que certains médias, au-delà de cette affaire, s’essaient à démonter la trop belle histoire des « rois de la com' alimentaire »…
En France, c’est l’inévitable rançon du succès et de la visibilité : plus une marque s’expose, plus elle doit s’attendre à être attaquée, notamment quand elle flirte avec les politiques et des sujets sociétaux sensibles…
Aux Etats-Unis, ce genre de prise de positions est beaucoup moins problématique qu’en France. En témoigne l’engagement explicite de nombreux créateurs et marques de mode en faveur de Hillary Clinton – dont Calvin Klein, Diane von Furstenberg, Donna Karan, Supreme, Marc Jacobs, Michael Kors, Prabal Gurung, ou encore Tory Burch Vera Wang et Ralph Lauren. Les trois derniers ont d’ailleurs ouvertement contribué au financement de la campagne de la candidate démocrate – chose impossible en France, mais légale chez l’Oncle Sam où, depuis 2016, les dons des entreprises et des syndicats aux candidats sont, non seulement autorisés, mais illimités !
Cette mobilisation partisane du monde de la mode a eu lieu, il est vrai, dans un contexte « extraordinaire » où il s’agissait en premier lieu de faire barrage à Donald Trump… Les résultats de l’élection étant ce qu’ils sont, Supreme a prolongé cet engagement avec une collection printemps/été 2017 « militante », où apparaissent un blouson Obama (nostalgie ?) et des pin's « Fuck the president »…
Dans un autre secteur, Dove mène aussi son petit combat anti-Trump et non sans humour avec une campagne se moquant, d’une part, du nouveau président et de la propension de ses équipes à abuser des #AlternativeFacts et, d’autre part, les promesses des marques de déodorant concurrentes.
Les faux-pas partisans d’une minorité de patrons français et leurs conséquences ne sont qu’une facette de l’engagement des marques, un engagement qui en réalité se joue principalement sur le terrain sociétal. Est-ce de la politique ? Oui si on considère qu’est « politique » tout ce qui a un impact sur la société, la manière dont elle fonctionne et les comportements des individus qui la composent. Par les valeurs qu’elle porte, par sa capacité à influencer et par son pouvoir de prescription, toute marque est un acteur politique de fait.
Dans un univers communicationnel saturé de messages, certaines marques se distinguent par des combats et des prises de position sur de nobles causes auxquelles leurs publics sont sensibles. Nike, par exemple, encourage les pratiques sportives des femmes musulmanes, les invite à braver la désapprobation de leur « communauté » et va jusqu’à leur proposer « un voile sportif » baptisé « Pro Hijab ». Derrière cet engagement, il y a évidemment de gros enjeux de marché, mais qui en Occident oserait dire ouvertement que cela ne fait pas avancer la cause des femmes et des libertés ? Pas grand-monde, enfin pour le moment – et on espère bien que ça va durer !
Lutte contre le sexisme, les discriminations de genre, l’homophobie, le racisme, l’illettrisme, les inégalités en tous genres, le travail des enfants... Lutte aussi pour la paix, la liberté d’expression, l’égalité des chances… Je fais partie de ceux qui pensent que, même s’il est intéressé, l’engagement des marques sur ces questions sociétales contribue à faire avancer les choses. Je suis moins convaincu par les engagements relatifs à l’environnement et à l’écologie, peut-être parce que trop d’entreprises et de marques ont été prises en flagrant délit ou fortement suspectées de greenwashing. C’est toute la difficulté de mettre en cohérence la communication RSE et ce que fait réellement une marque ou une entreprise au quotidien en matière de responsabilité sociale et environnementale. Il me semble, qu’en la matière, une marque qui affiche des ambitions modestes et qui est irréprochable sur les faits gagne plus de points que celles qui montent en épingle des réalisations et des pratiques qui s’avèrent n’être que des exceptions.
S’engager, politiquement, sociétalement, c’est s’obliger à rendre des comptes – surtout dans un monde où l’exigence éthique est, et sera, de plus en plus élevée – vis-à-vis des politiques bien sûr, mais aussi vis-à-vis des marques qui peuplent, organisent et régissent de plus en plus d’aspects de notre quotidien.